Les femmes qui ont la beauté extérieure servent de modèle, celles qui n’ont que la beauté intérieure servent d’exemples.
- Jérôme Touzalin
C’est une vieille femme. Elle a atteint quatre-vingt-un ans. J’aime bien l’idée de parvenir à toucher quelque chose. C’est le mouvement inverse d’aveindre. C’est elle précisément qui m’a mise au monde dans ce Paris de la fin des années soixante. À l’époque il valait mieux ne pas être fille mère, c’était mal vu. Le temps a gagné. Je sais m’être aperçu que le temps avait fait des ravages sur elle. Il a commis ces méfaits incontournables, qui sont des outrages visibles, qui se montrent, ou invisibles, qui éteignent les visages et détraquent les corps. Il a alourdi les lignes, déformé les contours. J’ai ressenti tout le poids du temps affaissant les traits, ils sont tirés vers le bas. Il s’est acharné à défaire tout ce qui relevait de la beauté, de la grâce, de la splendeur, à dérégler tout ce qui était raison, Il ne reste plus qu’à admettre une certaine défaite sans s’y résoudre pleinement. Je sais m’être dit qu’elle aurait dû m’aimer, plus, mieux, autrement, quoi, tout faire pour me comprendre. Elle aurait pu se montrer plus attentive. J’ai eu honte d’elle, de ce milieu, de cette inculture. Et puis il y a la honte d’avoir pensé cela. Et puis vient s’ajouter la honte de la honte. Je suis désolée de voir qu’elle n’est pas en amour avec elle-même. C’est un nouveau monde qui ressemble comme deux gouttes d’eau à celui de l’enfance, avec elle il suffit de réinventer l’enfance. Comment était-elle, la sienne ? Belle ? Qu’a-t-elle sauvegardé de ce temps jadis, elle ? Il faut approcher et apprivoiser le territoire enfantin de sa mère. Elle s’amusait mais ne jouait pas. La différence est dans la possession. Elle tentait de vivre, elle avait deux ans en 1939 , Elle ne possédait rien, on a eu plus de choses, des objets, des jouets, je me suis permise de faire des caprices. Il y a l’obéissance, la servitude à l’autorité maternelle, elle est absolue, la soumission à l’homme, la régence du quotidien ; il y a tout ça dans son enfance, tout cela dont j’ai hérité. Il y a ce que elle a reçu, et ce qu’elle transmet et entre, le mensonge, pour masquer l’angoisse. Elle tremblait tellement. Comment faire comprendre à une enfant qu’un jour elle ne vous verra plus. ? Et puis, un jour, on se surprend à dire : elle avait tellement raison.
isabelle franc rttr
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